Balade historique le long du canal Saint‑Martin : entre flâne et mémoire
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L’eau comme fil conducteur
Au cœur des 10ᵉ et 11ᵉ arrondissements de Paris, le canal Saint‑Martin déroule un tapis d’eau paisible de près de 4,6 km, reliant le bassin de la Villette à la Seine. Mais au-delà de son charme romantique, ce canal est un véritable témoignage de l’histoire urbaine et industrielle de Paris.
- Conçu sous Napoléon Ier pour répondre à des besoins vitaux et inauguré en 1825, il a subi transformations architecturales, extensions, recouvrements et renouveau touristique avant de devenir le lieu emblématique que nous connaissons aujourd’hui.
Cette balade propose de parcourir ses rives, écluses, passerelles, tunnels et ports, tout en retraçant son histoire : des premières idées du Moyen Âge aux projets contemporains de piétonnisation.
Les origines : une idée ancienne pour une ville en soif d’eau
- Dès le XIVᵉ siècle, le roi Charles V envisageait déjà de détourner des cours d’eau pour alimenter Paris. Sous Louis XIV, Colbert réfléchit à canaliser l’Ourcq, et aux XVIIIᵉ siècle, les ingénieurs imaginent un Grand Canal de Paris.
- Mais c'est sous Napoléon Ier, face à la croissance urbaine, aux épidémies (choléra, dysanterie) et à l'insuffisance de l'eau potable, que le projet est relancé. Le 19 mai 1802, la loi du 29 floréal an X aurorise la création des canaux Saint-Martin, Saint-Denis et de l'Ourcq.
- Gaspard de Chabrol, alors préfet de la Seine, en confie la réalisation à l’ingénieur Pierre-Simon Girard. Un financier mixte, incluant une taxe sur le vin, est mis en place à partir de 1818, avec la création de la Compagnie des Canaux de Paris.
Construction : de 1805 à 1825, vingt années de chantier
- Le creusement débute vers 1805, par les extrémités du tracé, mais connaît des ralentissements pendant les guerres napoléoniennes.
- En mai 1822, la première pierre est posée officiellement, et trois ans plus tard, le canal est inauguré le 4 novembre 1825, en présence de Charles X.
- Mesurant 4,5–4,6 km, avec une dénivellation de 25 m gérée par neuf écluses – dont certaines doubles comme Louis‑Blanc ou Récollets – et deux ponts tournants.
- Les matériaux utilisés : pierres de taille de la plaine sud de Paris, meulière, moëllons de Créteil, Charenton, chaux...
- Le canal n’apporte pas seulement de l’eau potable ; il permet également le transport de grains, matériaux de construction, desservant deux ports : le Bassin de la Villette et le Port de l’Arsenal.
Architecture et transformations : Haussmann et le recouvrement
À la fin du XIXᵉ siècle, sous Napoléon III et le préfet Haussmann, le tracé du canal est modifié.
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- Pour créer le boulevard Voltaire/Richard-Lenoir, le canal est approfondi d'environ 5-6m, ce qui évite les ponts mobiles sur cet axe majeur.
- Deux kilomètres sont recouverts entre la rue du Faubourg‑du‑Temple et Bastille, avec voûtes (Temple, Richard‑Lenoir, Bastille). Ce bâtiment de la surface devient la base du boulevard Richard‑Lenoir.
- Entre 1860 et 1890, passerelles et ponts en fonte (notamment passerelle des Douanes de 1860, Maria Schneider, Arletty) sont ajoutés.
- En 1861, la ville rachète la concession à la compagnie privée, gère désormais les écluses, ponts et passerelles via le Service municipal des canaux.
- Une partie du canal est classée Monument historique en 1993, rassemblant tout son tracé, écluses, passerelles et tunnels.
Déclin, sauvetage et renouveau
- Dès le Milieu du XXᵉ siècle, le trafic fluvial s’effondre : les péniches disparaissent, remplacées par la route. Dans les années 1960, des projets de remblaiement pour créer une voie rapide sont envisagés.
- Grâce à la mobilisation locale et la conscience patrimoniale, ces projets sont abandonnés et un vaste programme de réhabilitation, le « Grancanal », est lancé.
- Aujourd’hui, le canal est un site touristique majeur, classé, avec des croisières (Canauxrama), péniches‑bars, promenades à pied ou vélo et même baignades estivales dans le bassin des Récollets.
- La Mairie du 10ᵉ a initié en 2022 la piétonnisation partielle, l’attribution de noms aux passerelles, radeaux végétalisés et événements participatifs tels que « Ménage ton canal ».
Une balade aujourd’hui : pas à pas sur les rives
De Stalingrad au bassin de la Villette
- Le départ se fait au double écluse de Stalingrad, connectant le canal à la Villette.
- Le bassin de la Villette (plus grand port du canal de l’Ourcq) est un lieu de loisirs, ciné‑plein air, bars/foodtrucks.
Berges actives : Quai de Valmy & Jemmapes
- Sur près de 2 km, les quais sont jalonnés de cafés branchés (Chez Prune, Point Ephémère), galeries, street art et terrasses.
- La librairie Come as you are, les tasses de café, les brasseries artisanales : un décor vivant et créatif.
Écluses et passerelles
- Les écluses Louis-Blanc, Récollets et du Temple permettent de suivre les bateaux.
- Passerelles emblématiques : Jane Birkin (passerelle des Douanes), Arletty, Maria Schneider (ancienne Alibert), Hélène Duc (ex‑Grange-aux-Belles), ainsi que pont tournant rue Dieu et pont tournant rue de Crimée.
- Le charme discret des arcs de fonte renvoyant à une époque révolue.
Voûtes souterraines et Port de l’Arsenal
- Après l’écluse du Temple, le canal s’enfonce sous les boulevards : voûtes du Temple, Richard-Lenoir, Bastille, sur environ 2 km.
- Réapparition au Port de l’Arsenal, ancien port marchand, devenu port de plaisance en 1983, bordé d’un jardin et d’une passerelle nommée Jim Morrison depuis 2025.
Vers la Seine
- Le canal se termine par l’écluse unique reliant la Seine, à la hauteur de la Bastille.
- Vue sur l’Opéra Bastille, le boulevard Henri‑IV et l’embouchure du canal dans la Seine.
Le canal dans la culture et la mémoire collective
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Cinéma :
- Hôtel du Nord (1938, Carné) immortalisé sur la péniche éponyme.
- L’Atalante (1934, Vigo), Amélie (2001, Jeunet), Les Malheurs d’Alfred (1972), Mission: Impossible – Fallout (2018), John Wick: Chapter 4 (2023), Under Paris (2024).
- Art : peintres comme Alfred Sisley s’y sont inspirés, street art contemporain sur les berges.
- Littérature et musique : Simenon dans Maigret et le corps sans tête, Piaf évoque le canal dans Les mômes de la cloche.
- Urbanisme participatif : initiatives citoyennes autour de la végétalisation, la baignade, la piétonisation.
Le canal en 2025 : usages pratiques et projets
- Accès : stations de métro Stalingrad, Jaurès, République, Goncourt, Jacques Bonsergent, Bastille.
- Navigation : croisières Canauxrama, locations de petites péniches électriques. Deux ponts tournants (rues Dieu & Grange‑aux‑Belles) fonctionnent encore.
- Activités : terrasses, bars, pique‑nique sous les marronniers, street art, événements culturels.
- Renouveau durable : projets de piétonnisation, végétalisation flottante, mise en valeur du patrimoine.
- Sécurité & environnement : nettoyage périodique, récupération d’objets dans le bassin, baignade parcourant les eaux.
Pourquoi emprunter ce chemin ?
- Mise en perspective historique : comprendre la transformation urbaine de Paris du XIXᵉ à aujourd’hui.
- Architecture et ingénierie : admirer les écluses, les passerelles, les voûtes.
- Ambiance singulière : un Paris “autre”, moins touristique, plus intime et bohème.
- Activité douce : flâner, photographier, observer la faune (canards, oiseaux), profiter d’une baignade ou d’un café au bord de l’eau.
- Culture en plein air : cinéma, lecture, art urbain, musique.
Itinéraire conseillé et bonnes pratiques
| Étape | Points forts | Conseils |
|---|---|---|
| Départ Stalingrad | bassin, double écluse | Arriver tôt pour éviter la foule |
| Quai Valmy/Jemmapes | cafés, street art | S’arrêter chez Prune ou Point Ephémère |
| Écluses & passerelles | scènes cinématographiques | Vérifier les horaires d’ouverture des ponts tournants |
| Voûtes | ambiance mystérieuse | Respecter signalisation sécurité |
| Port de l’Arsenal | jardin, passage Jim Morrison | Profiter de la vue avant d’atteindre la Seine |
| Arrivée Bastille | écluse finale, vue sur l’opéra | Terminer par un verre dans un bistrot place de la Bastille |
- Prévoir environ 2½–3 h pour l’ensemble (avec pauses).
- En été, attention à la baignade et à la signalisation dans les bassins autorisés.
- L’hiver offre un charme différent : brume, reflets, air vif.
- Respecter la faune, éviter de nourrir les canards de pain.
Le canal, miroir du temps
Le canal Saint‑Martin, issu d’une vision sanitaire et logistique du début du XIXᵉ siècle, épure progressivement sa fonction utilitaire pour se transformer en lieu de vie, de culture et de détente. Il incarne aussi l’idée qu’une ville se construit dans la continuité, en valorisant son passé industriel tout en répondant aux aspirations contemporaines à la nature, à l’insolite, à la ville partagée.
Cette balade est une invitation à lire et ressentir Paris autrement : plus modeste, plus fluide, plus poétique. À chaque écluse, passerelle ou péniche amorçant son lent glissement, c’est une page d’histoire qui se feuillette. Et en 2025, ce joyau d’eau vive fait l’objet d’une nouvelle attention : celle d’une capitale qui veut préserver sa douceur de vivre et soigner ses héritages.